Une façon originale de promouvoir la littérature SFFFH (Science-Fiction, Fantatstique, Fantasy et Horreur) francophone.
Voici pour l'occasion, une nouvelle tirée du recueil Artificiel 2.0.
Rébellion dans l'espace
À
mi-chemin entre Mars et Jupiter, un vaisseau-citerne venait
d’enclencher la procédure d’urgence. Le système de commande ne
répondait plus et le capitaine était contrarié. D’autant plus
que son second n’était pas rentré de sa tournée d’inspection.
Tout allait de travers, à l’image de la trajectoire que prenait le
navire. Il tenta le canal autonome de communication pour le joindre :
— Ah !
Enfin, je peux parler ! Alors, moi, je t’avertis tout de
suite. Je marche pas dans ta combine. Elle est trop minable ton
intro ! Je t’avais averti…
Euh…
Bon. Apparemment, il n’y avait pas que le système de commande qui
dysfonctionnait. On oublie tout et on reprend.
Ainsi,
tout allait de travers, à l’image de la trajectoire que prenait le
navire. Le capitaine tenta le canal autonome de communication pour
joindre son second :
— Non,
mais je rêve ! T’es bouché ou quoi ? Je te dis que
j’veux pas jouer dans ton histoire à la con ! C’est pas
assez clair ?
OK.
Nous disions, en plus du système de commande, que celui de
communication présentait de graves avaries. Silence radio !
Comme ça, le problème est réglé… Non, mais !
Malgré
sa nervosité, le capitaine n’était pas du genre à paniquer, il
avait vécu des situations bien pires. Mais passons le détail de ses
vies antérieures et intrépides, nous avons perdu assez de temps au
démarrage. De haute stature et les cheveux grisonnants, il se tenait
face au… Non, il arpentait les ponts… Non plus ? Mais
qu’est-ce qu’il fout à la fin ? Ah ! Le revoilà, en
train de fumer sa clope, avachi sur son siège en skaï, les santiags
sur le bureau… Et soudain, il se leva et… Quoi ? Mais où
est-il passé, ce vaurien ? Ce n’est pas possible ! Il a
disparu !
Et
puis zut, ce n’est pas grave. On ne va pas se faire des nœuds au
scénar à cause d’un personnage capricieux. On va s’occuper du
brave lieutenant.
Le
second, donc, lui qui n’était pas revenu de sa tournée
d’inspection, n’en menait pas large. Les voyants de détresse
clignotaient dans les moindres recoins tandis que les sirènes
crachaient leur inquiétude à pleine puissance. Des indicateurs
fébriles déraillaient au-delà du cartésien et, quand les cadrans
de pression se mirent à chuter, il comprit qu’ils avaient affaire
à une fuite sévère de leur cargaison. Se retenant de pester contre
la vétusté du vaisseau, il tenta d’alerter le capitaine sur la
ligne autonome. Mais, cette dernière étant hors service depuis
quelques minutes, et pour cause, il décida de manœuvrer lui-même
les vannes de sécurité… Non, de s’asseoir… ou de déguerpir…
de disparaître du paragraphe ! Eh ! Mais où est-il passé
lui aussi ? Mince alors ! Ils sont en train de saboter la
nouvelle, ces deux-là !
Un
moment de réflexion s’imposait. Une pause qui allait remettre tout
en ordre. Dans l’espoir du miracle qui allait sortir l’intrigue
d’une glu aussi obscure que la nuit galactique.
Et
pendant ce temps, le vaisseau continuait tranquillement à dévier de
son chemin et à déverser son contenu sarcastique sur la Voie
lactée.
Mais
le miracle n’eut pas lieu. Nous voilà bien.
Les
deux protagonistes ayant déserté, la situation n’avançait plus
d’un pouce. Parce qu’une nouvelle sans personnage, ce n’est pas
terrible terrible ! Il faudrait les convaincre de reprendre leur
rôle. Mais comment ? Bon, déjà, essayons de renouer le
dialogue. Pour faire parler un personnage, même contre sa volonté,
ce n’est en théorie pas très difficile. Il suffit de lui donner
la parole, par exemple en écrivant ce qui suit : « Et le
capitaine répondit : »
— Hé,
hé ! Malin, le gars ! Il en a de la jugeote !
prononça-t-il sur un air de détachement à irriter n’importe quel
auteur. Mais t’en fais pas, on n’est pas bien loin. On prend
juste une petite pause, avec mon second. Pour discuter de nos
conditions de travail. T’y vois pas d’inconvénient, hein ?
»
Des
inconvénients ? Évidemment qu’il y avait des inconvénients !
Ces deux fainéants étaient en train de bousiller une histoire qui
aurait pu être passionnante ! Mais peut-être que le lieutenant
avait des choses à déclarer lui aussi. Si ça se trouve, il n’y
était pour rien et subissait le joug de son supérieur hiérarchique
en se conformant à ses ordres. Pour le savoir, écoutons-le :
— Ouais,
t’as raison, j’ai des choses à déclarer. J’en ai marre de
subir les caprices des auteurs. Je veux vivre ma vie, moi aussi. J’en
ai marre qu’on me la dicte ! J’veux mon libre arbitre, comme
tout le monde ! Ouais, ras-le-bol de la soumission aveugle !
— Bien
dit, mon gars, renchérit le capitaine. Et maintenant, toi, oui, toi,
çui-là qui tapote sur ton clavier, tu nous lâches ! On
démissionne, c’est clair ? On va vivre chacun de notre côté
maintenant. Alors, ouste, adios amigo !
Ah !
Ce capitaine et son sale caractère ! Mais d’accord,
n’insistons plus. Puisqu’il en est ainsi, puisqu’il n’y a
plus de dialogue possible, concluons.
Les
pleutres pilotes avaient donc préféré évacuer et le vaisseau
erra, sans aucune gouvernance, tout en se vidant de son vicieux
contenu. Une étincelle providentielle mit un terme au supplice de
l’auteur.
Boom !
Et
fin.
— Hé !
Mais non, ça va pas ? C’est pas fini ! Parce que tu
crois pas que tu vas t’en tirer comme ça, hein ? Et puis on
va pas se laisser traiter de pleutres sans rien dire quand même !
Tu vas corriger ça tout de suite ou on porte plainte aux
prud’hommes ! s’emporta le Capitaine.
— Ouais,
en plus, il est même pas cap de nous le dire en face ! T’as
vu l’autre, il attend qu’on s’en aille pour nous traiter de
tous les noms d’oiseaux ! grogna à son tour le Lieutenant.
Holà !
On se calme ! OK, on reprend. OK, ils n’étaient pas pleutres.
Mais quand même, ils avaient réussi à ruiner une nouvelle !
Et malgré l’impressionnante implosion du vaisseau-citerne en guise
de chute, il y avait de quoi – et sur ce point ils n’avaient
pas tort – laisser le lecteur sur sa faim.
Cependant,
rien de nouveau ne se passait autour de la carcasse métallique et
des débris épars. La mélasse du liquide avait fini par s’échapper
complètement des containers éventrés et dessinait une figure
monumentale aux contours vaseux et menaçants. On baignait dans
l’expectative d’une fin proche, mais le froid intergalactique
s’était invité pour figer l’ambiance. On se demandait bien
comment l’auteur allait sortir de ce pétrin. Il avait beau aligner
les mots, le vaisseau n’en continuait pas moins sa marche chaotique
et incontrôlée.
Soudain
une voix tonitruante s’extirpa du vide, tel un proton surgissant du
big-bang, telle une aubaine. Une voix bien connue du lecteur
maintenant puisqu’il s’agissait de celle du capitaine :
— Si
je peux me permettre, t’as qu’à nous faire une happy end !
Vite fait sur le gaz. Après on te laisse tranquille, promis.
Pourquoi
pas après tout. Qu’on en finisse une bonne fois pour toutes. Tout
le monde commence à fatiguer, là.
Et
c’est ainsi que le capitaine et son second se retrouvèrent sur Io,
au bar de l’astroport, une bière de synthèse à la main et en
charmante compagnie. Deux natives aux triples regards alléchants et
à la plume aérienne qui sirotaient un cocktail aux saveurs
d’arc-en-ciel. De quoi oublier le laborieux moment passé à
déclarer aux autorités compétentes la perte de leur vaisseau
spatial.
— Ah !
On n’est pas bien, là, hein ? lança un capitaine radieux à
son second. C’est quand même mieux que d’aller galérer dans
l’espace et le cambouis au péril de notre vie, ou d’affronter
des dangers venus de j’sais pas quelles météorites !
— C’est
sûr. Tu vois, quand il veut, il peut se déchirer notre auteur.
— Il
faut juste le rappeler à l’ordre de temps en temps. Mais à part
ça, on l’aime bien, hein ?
— Ouais,
tu l’as dit !
Fin.
Enfin,
peut-être… Attendons…
Alors ?
Rien ? Pas de réaction ?
Non.
Alors
oui, c’est la fin. Et tant pis si le liquide malsain échappé de
l’épave allait finir par semer la peur dans tout le système
solaire. Tant pis si certains préférèrent s’amuser plutôt que
de sauver le monde. C’est la nature humaine qui est corrompue.
C’est ainsi. Surtout quand elle s’éloigne de son berceau.
— Ouais,
c’est ça, et il insiste, l’autre…
— Laisse
tomber, va. C’est que du vent. À la tienne !
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Artificiel 2.0 est publié avec une Licence Art Libre (LAL 1.3)